mercredi 1 octobre 2008

Le nanar de l'Enfer

Hellgate, nanar américain de William A. Levey - 1989
(note : cette fiche a été faite par un guest, Macbesse)

"Alors comme ça, tu veux aller au village hanté introuvable beau brun ? Tu sors de ce bourg pourri, tu dépasse la station service et le cimetière, tu vas tout droit. Tu peux pas le rater !"

Années cinquante : de terribles bikers bien rasés surgissent du fond de la nuit américaine. Rectification : de terribles bikers surgirent des abords ensoleillés de la ville dans la nuit américaine de celle-ci par la grâce du Dieu des Faux Raccords. Ils garent leurs rutilantes Harley 125 et pénètrent dans un bar au décor plus cheap qu'un épisode du Miel et les Abeilles.

Un long travelling sur la poitrine d'une accorte jeune fille lève tous les doutes : nous sommes bien dans un nanar. Mais tiendra-t-il toutes ses promesses de plans-nichons totalement injustifiés ? Contiendra-t-il autant de faux raccords, de fautes de goût, de logique et de cohérence qu'espéré ?

Oh oui, il les tient toutes ces promesses, mais il fait plus encore. Hellgate, c'est :

Un scénario inepte et bourré d'incohérences

Le récit des vingt premières minutes est à lui seul une preuve à charge.

Dans les années 50, une jeune fille est enlevée par des bikers qui l'amène dans une ville abandonnée habitée. Ils font alors la connaissance du père de la belle, qui, justement, habite en face de l'endroit où ils s'amusent avec elle - les bikers sont de grands enfants, ils font la ronde avec leurs motos autour d'elle en criant. S'ensuit un court mais intense combat épique entre le chef de gang et le père.


En haut de l'image, la chaîne volante qui vaudra au père de se promener avec un gant de cuisine noir pendant tout le reste du film.
(merci Nanarland pour la capture)


Le père, lanceur de haches à ses heures perdues.
(merci Nanarland pour la capture)

Malheureusement, le paternel ne parvient pas à sauver sa progéniture, car un autre biker a acculé la belle jeune fille et lui fonce dessus, écroulant le mur de briques en mousse sur elle. Désespoir !

A une époque indéterminée, un employé du père trouve un cristal grand comme un ballon de foot derrière un panonceau "mine d'or désaffectée". Ce cristal bleuit et envoie un rayon sur la chauve-souris qu'il venait de tuer à coups de pelle.


Cette chauve-souris en plastique est morte. N'aie crainte ami cinéphile déviant, le rayon bleu gratté à même la pellicule va la ressusciter et tu vas pouvoir entendre le doux bruit de ses ailes mécaniques !
(merci Nanarland pour la capture)

"Employé fidèle" (dixit), il amène ce cristal magique à son seigneur et maître. Etonné mais optimiste, celui-ci décide de l'essayer sur le poisson rouge.


"Ciel, ce poisson-rouge mute !"
(merci Nanarland pour la capture)

L'eau bout dans le bocal, cuisant le poisson au court-bouillon. Le bocal finit par exploser et révéler un poisson mutant aux yeux bleus et vitreux, qui explose lui aussi par la même occasion.


"Hum, il devait y avoir trop de levure dans la pâte."
(merci Nanarland pour la capture)

Comme le spectateur n'a pas encore bien compris les capacités extraordinaire du cristal et les possibilités scénaristiques infinies qu'il ouvre, il faut réessayer sur une tortue empaillée.


Vous ne rêvez pas, cette tortue crie.
(merci Nanarland pour la capture)


Une terrible morsure de gant-zombie.
(merci Nanarland pour la capture)

Dont voici les conséquences... trente ans (?) plus tard :


Le maire au masque de fer
(merci Nanarland pour la capture)

Le père, nous dit la voix off, continue ses expériences et finit par "maîtriser le cristal". De nuit, il se rend alors dans le cimetière brumeux qui fait hurler les loups à la lune à chaque fois qu'il apparaît à l'écran (au moins six fois dans le film). Il se recueille un instant devant le généreux décolleté du gisant en stuc de sa fille, puis lance les fameux rayons bleus pour la ressusciter. Hellgate serait-il un remake de Simetierre ? Difficile à dire. La fille apparaît dans le plan suivant, parfaitement intacte et pas explosive pour le moins du monde. Nous sommes maintenant, le scénariste seul sait pourquoi, dans les années 80, et la revenante peut croiser le chemin du héros qui rentrait chez lui, où l'attendaient un couple d'amis et sa petite copine, qui venait justement de narrer la sinistre histoire de Hellgate, histoire de gagner cinq minutes et d'atteindre le format long-métrage. Par une improbable ellipse - on ne saura jamais ce qui s'est passé entre la résurrection et les années 80, les deux époques de la narration se trouvent désormais réunies.

Pourtant, en comparaison du reste du film, ces vingt premières minutes tiennent la route : on ne saura jamais pourquoi Hellgate est devenu un village de zombies où on n'aime pas les étrangers, pourquoi ce village est perdu bien qu'il soit juste à côté du cimetière, pourquoi la revenante a des supers-pouvoirs bleutés, si elle veut tuer le héros ou coucher avec lui, ni à quoi servent, en définitive, les zombies, qui n'auront de cesse de regarder bêtement les "intrus", laissant au père le soin de les trucider.

On fermera également les yeux sur la raison d'être du biker rescapé de la tuerie des années 50, qui se prépare durant tout le film, aiguisant tellement son couteau dans son garage qu'il finit par découper des pastèques en un coup. Ce même biker revient sur les lieux de son forfait mettre une tannée au père-qui-est-devenu-le-méchant-et-qui-n'aime-pas-les-étrangers. La tension est à sa comble. Le choc des titans approche. Zek s'agite, hurle, brandit son couteau d'un air menaçant... et prend un coup de rayon bleuté gratté à même la pellicule en pleine poitrine. L'est mort chef. Durée du match : dix secondes, chrono en main.


Cette pastèque va prendre cher. Je n'en dirais pas autant du méchant.
(merci Nanarland pour la capture)

Des clichés enfilés comme des perles

C'est bien connu, pour survivre a un film d'horreur, il faut ne pas pécher, ne pas se séparer et ne pas dire "je reviens tout de suite". Ces principes sont appliques a la lettre. La lubricité et la boisson reçoivent automatiquement leur juste châtiment. Mais s'il n'y avait que ca ! Le réalisateur qui a commis ce film devait avoir une check-list, et cocher au fur et a mesure, car on a droit a la scène de cimetière, au hurlement tritonal du loup a la pleine lune, à la dame blanche, à une histoire d'amour de fesses (totalement sabotée) entre la revenante et le héros, aux zombies, au piano qui joue tout seul, a la mine, au retour du grand méchant-qu'il était pas mort, et j'en passe. C'est un parcours parfait, a l'image du skieur qui se prend toutes les portes du slalom géant.

Un film sensuel

Hellgate, c'est aussi un film racoleur jusqu'à l'absurde, avec une revenante dénudée au moindre prétexte que l'on oblige a prendre des poses ridicules. Oh, le vin m'a tache. Oh, le vent m'a retire mes habits. Et si je me cambrais en permanence, même accroupie ? On apprendra également, grâce a ce film, qu'une femme qui éprouve du plaisir louche, et que toutes les serveuses sont nymphomanes. Pas de doute, ce film est instructif. Pédagogique même, car l'éducation ne réside-t-elle pas dans la répétition ? Or, le gros plan sur les seins taches de vin est resservi pas moins de quatre fois au spectateur, sans jamais être modifié d'un iota !

A la recherche du temps perdu

Mais ce qui distingue Hellgate de tous les nanars de la création, c'est son rythme, cette alternance délicieuse d'ellipses incompréhensibles, de scènes décoratives et de meublage pur et simple. Toutes les ficelles sont employées : c'est une filiale d'IKEA complète que Levey a réussi a ouvrir. Commentaires sur l'action par les personnages, dialogues bouche-trou, scènes allongées a l'excès, plans de coupe répetés a l'infini, hors-sujets dilatoires, exposé des protubérances mammaires de l'actrice, tout y passe, suscitant un sentiment d'incrédulité croissant, jusqu'au fou rire. Hellgate, c'est Derrick au pays des zombies.
Non, Derrick ne mérite pas cette comparaison, jamais, dans un épisode de cette série, le héros, par trois fois, ne répèterait a son meilleur ami :
- Tu sais quoi ?
- Non.
- Approche, je vais te le dire, c'est un secret.
- Ok.
- You're an asshole.
Et les deux abrutis de rire de concert.

Conclusion

Effets spéciaux cheap, scénario inepte, rythme alangui, racolage éhonté, temporalité autre, Hellgate a beaucoup d'atouts dans sa manche pour séduire le nanardeur. Cependant, il faut une dose sérieuse de perversité et une bonne condition physique pour apprécier son rythme unique. Des profanes pourraient s'ennuyer. Dans le doute, abstenez vous. Si vous avez déjà solidement forgé votre goût pour la série Z, par contre, foncez.